Histoire
Le terroir – Le gué
Gazavel, dans son orthographe ancienne (Guasaver, Gasaver) signifie le “ gué vieux ”. Sans remonter à Annibal, qui, prétend-on, aurait traversé le Rhône à Gazavel, on constate que, du temps de la Gaule romaine, un passage à travers le Rhône existait à cet endroit. Monsieur l’Abbé Pierre Arnaud, dans son ouvrage sur les “ Voies romaines en Helvie ” explique qu’une grande ville “ Batiana ” s’étendait de Baix au Pouzin, enjambant le Rhône avec communication d’une rive à l’autre par le gué de Gazavel. Deux voies romaines aboutissaient à ce gué sur la rive droite : l’une en provenance de Nîmes par Uzès, Barjac et Alba, l’autre en provenance d’Auvergne par Saint-Agrève, Privas et Chomérac. A travers le gué les convois rejoignaient la voie Agrippa (Lyon - Arles) et la voie des Alpes (Valence – Mont Genèvre). Une compagnie de nautes assurait le trafic.
Batiana a été ravagée par les Vandales au Ve siècle, détruite par les Sarrasins au VIIIe. Sa position géographique en faisait une clé de la vallée du Rhône. Il ne reste plus d’elle qu’un souvenir dans le nom du village de Baix sur la rive droite, du quartier de Bance sur la rive gauche. Le terroir de Gazavel – qui a dû son nom au “ gué vieux ” - n’est que la portion du quartier de Bance située au bord du Rhône (voir note 1).
Le “ vieux gué ” a cependant subsisté à travers le temps. Au XVIIe siècle, il servait encore. Il n’a définitivement disparu qu’à la suite des travaux de canalisation du Rhône entrepris au XIXe siècle. Ce n’était pas, à proprement parler, un gué mais un passage à travers des îlots que pouvaient emprunter des barques ou des cavaliers. Freiné par l’avancement de la montagne au niveau de Baix, le Rhône s’étalait largement dans la vallée de la Payre sur la rive droite et sur les terres basses de la rive gauche. Son courant s’en trouvait très atténué et le “ seuil rocheux ” de Gazavel retenait à la fois les alluvions du Rhône et les débris charriés par la Payre et aussi par la Drôme au moment de ses crues. Ce seuil rocheux a donné bien du mal à la Compagnie du Rhône. Il l’a obligée à déplacer son canal vers l’Ouest en faisant une boucle autour de l’éperon de Gazavel.
Aux époques lointaines, le gonflement du Rhône à cet endroit était considérable. Au début du XVIIe siècle encore, l’eau léchait presque les remparts de Baix. De notre côté, elle arrivait immédiatement au-dessous de la ferme actuelle (nous l’avons vue souvent à ce niveau pendant les crues périodiques du fleuve avant que les travaux de la Compagnie du Rhône n’aient bouleversé les données naturelles). Le château s’élevait alors sur une sorte de promontoire qui avançait dans les eaux et les barques pouvaient accoster au pied de cet épi. Le gué se situait sur une ligne partant de Gazavel et aboutissant sur la rive droite, au bas de la montagne Saint-Maurice, sur la route de Chomérac, l’ancienne route d’Auvergne. L’emplacement des chemins n’a guère varié depuis l’époque romaine jusqu’à notre époque. Il avait deux kilomètres de long, environ. Le chemin de Saulce au Pouzin, notamment dans la partie qui va de Gazavel à Pommier, est probablement une survivance du très ancien chemin de halage.
La présence du gué explique que le territoire de Gazavel ait toujours fait partie de mandement et de la paroisse de Baix et ait suivi son sort à travers les âges. Peu à peu cependant des causes naturelles et surtout humaines ont modifié l’état de lieux. L’apport constant d’alluvions agrandissait les îlots et les propriétaires riverains les annexaient par le moyen de digues parallèles au courant. Les digues de Gazavel que nous avons connues en sont un exemple. Les propriétaires de la vallée de la Payre agissaient de même. De ce fait un chenal se creusait lentement sur la rive droite, rongeant les îlots et abaissant le niveau du fleuve. Au XVIIIe siècle, le chemin de halages se trouvait près de l’emplacement actuel de la bordure Est du canal. Le chemin, partant du château pour rejoindre le gué longeait à son extrémité un relais de mariniers qui a été détruit par la Compagnie du Rhône.
D’année en année, le gué devenait plus dangereux. La violence du courant, créée par la diminution de largeur du fleuve, la présence du chenal le rendait de plus en plus impraticable. Des accidents graves se produisaient. Pendant des siècles, les habitants du quartier de Gazavel avaient assisté aux offices religieux en l’église de Baix. En 1706, invoquant le risque grave de la traversée du Rhône, ils introduisirent une requête auprès de l’Evêque de Viviers pour obtenir qu’un service religieux, dépendant de la paroisse de Baix, fût établi sur la rive gauche. La chapelle du château de Gazavel fut construite à cet usage en 1719.
Paul de Lagarde.